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Judith Tyson

L’impact de la Covid-19 sur le système bancaire en Afrique

sep 14, 2020

La Covid-19 a provoqué une profonde onde de choc qui secoue l’économie mondiale. De grandes incertitudes subsistent quant à l’évolution de la pandémie, aux perspectives de reprise économique et aux changements structurels qui en découleront à long terme - notamment en ce qui concerne la mondialisation du commerce et des capitaux.

La pandémie a déjà entraîné une nette dégradation des perspectives économiques de l’Afrique, la croissance devant tomber à -1,6 % et le taux réel par habitant baisser de 3,9 %, faisant de 2020 la pire année depuis 1970, année où l’on a commencé à enregistrer la croissance économique sur le continent.

La pauvreté devrait également augmenter de 2 % dans la région, avec 26 millions de personnes tombant sous le seuil de pauvreté, effaçant ainsi les progrès réalisés dans la réduction de la pauvreté ces cinq dernières années. La moitié des nouveaux pauvres vivront dans cinq pays seulement : la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud - le Nigeria étant le pays qui en comptera le plus avec 6,6 millions de nouveaux pauvres selon un document non divulgué de la Banque mondiale.

Qu’est-ce que cela implique pour le système bancaire ?

De la mise en œuvre de Bâle III au renforcement de l’assise financière des institutions d’importance systémique en passant par la baisse du taux de base, il est heureux de constater que la réglementation en vigueur dans la région s’est améliorée au cours de la dernière décennie.

Les régulateurs ont immédiatement pris des mesures pour assurer la stabilité financière face à la crise de Covid-19, ce qui devrait réduire les risques de défaillance systémique des systèmes bancaires.

Au nombre des mesures stratégiques adoptées figurent la baisse du taux de base - qui influe positivement sur la demande globale et la capacité des ménages à assurer le remboursement de leurs dettes -, la réduction des ratios de réserves de liquidités des banques, la mise en place de programmes d’achat d’obligations d’État et l’instauration d’un moratoire sur la dette des banques.

Toutefois, la stabilité du secteur bancaire en Afrique est menacée par le risque d’une forte augmentation des prêts non productifs, qui ont déjà atteint un niveau élevé en 2019 (11 %). Les emprunteurs de tous les secteurs et niveaux d’activité seront touchés, car la baisse des revenus et des recettes les empêchera de faire face à leurs obligations.

Les institutions individuelles continuent également d’être exposées aux risques de faillite. Par exemple, les portefeuilles des institutions de microfinance (IMF) seront soumis à des tensions en raison des prêts accordés aux ménages dont les revenus sont volatils et qui ne disposent pas d’actifs, et certains pourraient ne pas être en mesure de conserver leur solvabilité. Les institutions à risque sont notamment celles qui disposent de devises fortes, de financements à court terme ou de passifs interbancaires, ou encore celles qui sont fortement concentrées dans des secteurs particulièrement touchés par la crise de Covid-19.

Ces problèmes pourraient entraîner un « resserrement du crédit », avec une forte réduction des nouveaux prêts et une accumulation de liquidités et de capitaux. Par conséquent, le secteur bancaire viendra aggraver la récession déjà en cours dans les économies d’Afrique subsaharienne.

Si les IMF sont soumises à des tensions, ce resserrement du crédit aura de graves répercussions sur les petites et moyennes entreprises (PME) et les microentreprises, réduisant la capacité des ménages à faibles revenus à conserver leurs moyens de subsistance, notamment dans le secteur informel. Pour remédier à cette situation, des mesures stratégiques ont été prises, notamment la réduction des ratios de fonds propres et des taux d’intérêt, qui pourrait contribuer à établir un équilibre entre la stabilité financière et le financement de la croissance. Cependant, l’efficacité de ces mesures sera également fonction de la propension des banques à prendre des risques.

En outre, si la reprise n’est pas rapide, on pourrait voir apparaître des banques et des entreprises « zombie ». Ces dernières seraient effectivement en faillite, mais leur insolvabilité ne se manifesterait pas en raison de l’application de mesures de tolérance. Lors d’autres crises ( comme la « Grande Récession » au Japon dans les années 1990), de tels phénomènes ont empêché une reprise solide pendant des décennies. 

Enfin, dans le pire des cas, la récession économique dans la région pourrait être plus profonde ou exceptionnellement plus longue que prévu, et pourrait entraîner l’effondrement systématique de nombreux systèmes bancaires nationaux.

Trois pistes pour soutenir le système bancaire africain

Cette perspective comporte de graves implications négatives pour les moyens de subsistance des ménages à faible revenu - d’autant plus qu’ils subiront d’autres conséquences de la crise, notamment une diminution des envois de fonds et des échanges commerciaux.

À court terme, les institutions financières internationales (IFI) doivent soutenir les PME et les microentreprises de manière directe ou en leur accordant des financements par l’intermédiaire des banques et des IMF. À plus long terme, le financement destiné à soutenir la reprise - également appelé « capital patient » - sera essentiel pour remplacer les prêts bancaires perdus. Cela vaut en particulier pour l’agriculture, l’industrie manufacturière et le commerce, où se concentrent l’emploi et les professions informelles. Toutefois, il est important de ne soutenir que les entreprises viables et non les entreprises ou les institutions financières « zombies », car cela peut retarder la reprise.

Pour les ménages qui sont dans une situation de détresse urgente comme l’insécurité alimentaire, il est nécessaire de mettre en place des programmes de protection sociale plutôt que des interventions financières, notamment des transferts directs en espèces et des programmes de santé et de bien-être.

Enfin, la crise a mis en évidence les possibilités qu’offre l’économie numérique. L’Afrique est déjà le leader mondial dans le domaine des infrastructures de télécommunications, ainsi que dans l’innovation et l’adoption des nouvelles technologies liées à l’économie numérique. Les économies africaines réalisent ainsi des gains d’efficacité et de productivité. Aujourd’hui, l’innovation numérique donne la possibilité de poursuivre la consolidation de l’économie dans le contexte de l’après-Covid-19, et permet même à l’Afrique d’aspirer à devenir une plaque tournante mondiale dans ce domaine. Les IFI doivent soutenir et approfondir l’innovation dans l’économie numérique, y compris dans les chaînes d’approvisionnement, les services aux consommateurs et le commerce.

Ce blog a été publié à l'origine sur le site de l'ODI.


À propos de l’auteure

Judith Tyson est une spécialiste du financement du développement, notamment du développement des marchés financiers, des investissements privés et de la macroéconomie financière. Elle compte parmi ses clients des organismes de développement, des gouvernements nationaux et des organisations du secteur privé en Afrique et en Asie. Ses récents travaux de recherche ont porté sur les investissements privés, le cofinancement par des investisseurs publics et privés et le développement des banques et des marchés de capitaux. Ses travaux font régulièrement l’objet d’une couverture médiatique, notamment de la BBC, de CNN et du Financial Times.

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